L’indispensable relance du projet maritime breton

L’indispensable relance du projet maritime breton

L’avenir des ports bretons.

Confrontée au Brexit et à la nécessité de développer des liaisons maritimes directes entre l’Irlande et l’Europe, la Commission Européenne avait souhaité renforcer les grands ports de Rotterdam et Anvers. Mais en oubliant les ports du Nord-Ouest de la France et, plus encore, les ports bretons. Le 10 janvier, suite à l’action de plusieurs députés européens, le Parlement Européen a voté l’intégration de ces ports oubliés dans le « réseau central ». Ce qui leur donnerait un accès à une enveloppe de subventions européennes. Cependant, comme toujours en Europe, la décision finale appartiendra aux États nationaux et au Conseil européen.

Le déclin maritime de la Bretagne.

Mais ce choix de la Commission Européenne est-il si étonnant compte tenu de la faiblesse des « grands ports » français et de leurs connexions ? N’est-ce pas là une sanction logique face à l’incapacité séculaire de l’État français à bâtir une logistique portuaire à la hauteur des défis actuels ? Et la Bretagne, autrefois puissance de premier rang du commerce maritime européen, ne mesure-t-elle pas là l’étendue du déclin maritime où l’ont entraîné les politiques centralisatrices et bien peu maritimes menées à Paris ?
La nécessité d’établir des liaisons maritimes fortes entre l’Irlande et le continent constitue une opportunité exceptionnelle pour les ports bretons. Elle peut se transformer en succès si la Bretagne se montre capable de porter avec détermination un projet de redéveloppement de son économie portuaire. Économie considérablement affaiblie au cours des derniers siècles sous les effets des politiques parisiennes.

La faiblesse des ports français et des ports bretons

Rappelons qu’au plan mondial, 80% des marchandises, en volume, et 70% en valeur, transitent par la mer. Le transport maritime est donc le mode de transport dominant.
Dans ce contexte, la France apparaît comme un acteur mineur. Les carences logistiques, au niveau des ports et connexions, … en France et en Bretagne, pèsent lourd sur nos économies. Également sur notre bilan carbone, avec une dépendance exacerbée aux ports étrangers et au seul transport routier. « Un conteneur sur deux à destination de la France ne passe pas par un de nos ports », avait déploré François Hollande en 2015.
Cette faiblesse française, dont la Bretagne est une des toutes premières victimes, est le résultat de l’incapacité chronique de nos dirigeants à penser le développement de nos territoires terrestres et maritimes.

La position stratégique de la Bretagne.

Pour Jean-Jacques Goasdoué, La France aurait dû être la grande plateforme logistique de l’Europe. Place qu’ont pris les Pays-Bas.
La Bretagne ayant le meilleur positionnement maritime possible en Europe, insérée dans l’Atlantique et idéalement placée à l’entrée de la Manche, les ports de Brest, Nantes-Saint-Nazaire, Lorient, Saint-Malo,… auraient dû être les grandes entrées maritimes du continent. Conférant à la Bretagne un rôle de hub maritime majeur.
Mais, pour cela, il aurait fallu une vision et une volonté politique forte. Ainsi que la construction d’infrastructures à la hauteur des besoins. Et la mise en place de liaisons terrestres et maritimes performantes entre ces ports et le reste de l’Europe, ne passant pas par Paris. Les Hollandais, Belges, Allemands, Espagnols … ne nous ont pas attendus.

Quelle est la réalité du portuaire français?

Elle est bien faible avec seulement deux ports dans les cent premiers mondiaux. Ainsi Marseille n’est que 53ème mondial et 6ème européen. Son tonnage de 81 millions de tonnes ne représente que 17% du tonnage de Rotterdam. Qui lui est 9ème port mondial et premier européen.  Le Havre se classe 68ème port mondial et 9ème européen pour le tonnage.
Pour le container, forme moderne du transport maritime qui favorise le transport intermodal des produits manufacturés, la situation n’est pas meilleure. Avec 5 millions de containers manutentionnés en 2015, sur environ 93 millions en Europe (soit moins de 5%), la France occupe le 7e rang européen. Loin derrière l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni.

Situation affligeante des ports bretons.

Seul Le Havre (56ème port de containers au plan mondial) traite plus de 50% du trafic français. Loin derrière les ports de Belgique, des Pays-Bas et d’Allemagne situés sur la mer du Nord (Anvers, Rotterdam, Zeebrugge, Amsterdam,  Hambourg, Brême,…). Mais aussi derrière Algésiras, Valence, Barcelone, Duisbourg, Le Pirée,….
En Bretagne, la situation est tout aussi affligeante. A part Nantes-St Nazaire, 4ème français pour le tonnage avec 25 millions de tonnes (5% de Rotterdam), les quatre premiers ports bretons sont très loin au plan français. Et ne parlons pas de leur classement européen ou mondial. Lorient est 17ème français et Brest est 20ème. Saint Malo 22ème et Roscoff 29ème. A eux quatre, avec 6 500 000 tonnes, ils totalisent moins de 2% du trafic français. Et moins de 10% du tonnage du Havre.

Un manque d’investissement dans les infrastructures

Pour les containers, c’est encore pire. Car les cinq ports bretons arrivent péniblement à 250 000 containers EVP, soit 5% du trafic français, répartis entre Nantes-Saint-Nazaire, 4%, et Brest avec 1% !
Terrible constat pour la Bretagne qui a été une des principales puissances du commerce maritime mondial du XIVème au XVIIème siècle. Tant pour le développement du cabotage le long des côtes européennes que pour l’exportation de productions bretonnes. Et qui est ramenée aujourd’hui au rang d’acteur marginal du commerce maritime international, et même national.

Jean-Jacques Goasdoué.

Pour ce logisticien breton porteur d’une expertise majeure dans les secteurs maritime (Brittany Ferries) et routier (STEF-TFE), il faut relier la grande faiblesse des volumes traités dans les ports français et bretons, au manque d’investissement dans les infrastructures et dans les connexions avec l’hinterland comme avec les grands pôles. Ainsi qu’à l’insuffisance de l’offre ferroviaire avec des lignes qui sont toutes « pluggées » sur Paris, et seulement sur Paris, depuis le 19è siècle, à la faiblesse du cabotage (« Short sea shipping »)… Il ajoute la négation par Paris des atouts maritimes de l’ouest français et de la Bretagne, liée à un manque vertigineux de vision, de projet, de volonté politique sur le transport maritime et la logistique. Que ce soit à Paris ou chez les dirigeants politiques bretons.

Le manque d’ambition nationale, l’exemple du RTE-T

Ainsi en termes de logistique, la France souffre d’un important retard aux plans européen et mondial.
Quelles en sont les raisons ?
La réponse qui vient en premier est le manque d’ambition maritime de la France. Ainsi que l’absence de projet et de volonté politique chez les dirigeants français.
Il suffit de comparer avec le dynamisme des autres pays européens qui développent de nombreux projets dans le cadre du programme européen de développement des infrastructures de transport, le RTE-T. C’est un programme de trente projets, d’un montant total de 250 milliards d’euros qui est financé par l’Europe à hauteur de 24 milliards d’euros entre 2014 et 2020. Le RTE-T vise à développer les échanges. Notamment par l’interopérabilité entre les réseaux. En soutenant les modes de transport les moins polluants et tout particulièrement, le ferroviaire dans ses dimensions fret et passagers.

La Bretagne oubliée …

La carte du RTE-T ci-dessous montre la faiblesse abyssale du projet français. En comparaison de ce qui se fait dans la péninsule ibérique, par exemple. En effet, le programme, et ses trente projets, ignorent en effet la totalité de l’ouest de la France. Car ce projet français se limite à renforcer l’axe ferroviaire qui rejoint la frontière basque à Paris. Puis l’axe Le Havre – Paris et l’axe Paris – Allemagne! Donc rien pour le développement du fret ferroviaire dans l’ouest. Ni rien pour le cabotage …
Plus que jamais, Paris renforce sa position centrale, véritable passage obligé pour les marchandises. Et capte seul les financements dédiés à la France. Plus que jamais la Bretagne et ses ports sont oubliés. Et plus que jamais, le corridor atlantique français, de Brest à Hendaye, reste aux oubliettes !
Et l’incapacité actuelle de la France de répondre au défi du transport maritime irlandais, dans le cadre du Brexit, est une nouvelle illustration de ce manque de vision.

La nécessité d’un redéveloppement maritime de la Bretagne

La Bretagne était, jusqu’au XVIIe siècle, une réelle puissance maritime européenne. Dotée de nombreux ports et d’une importante flotte commerciale. Mais, au XVIIIème et au XIXème siècles, le décrochage maritime d’une France centralisée sur Paris, peu intéressée par les questions maritimes et en guerre perpétuelle avec ses voisins, entraîna le déclin des flottilles et des ports bretons. Face à cette inertie française mortifère qui pénalisait fortement la Bretagne, le CELIB avait porté, dans les années 1960, une idée forte. L’idée de faire que la Bretagne retrouve une respiration et s’ouvre à nouveau sur l’Atlantique. A la même époque, naissait la grande idée de l’Arc Atlantique et d’une coopération active entre les régions des cinq pays de la façade atlantique européenne. Coopération fortement axée sur la mise en valeur de nos atouts maritimes communs.

Ecrire et mettre en œuvre le projet d’un nouveau développement maritime breton

En ce début du XXIème siècle, écrire et mettre en œuvre le projet d’un nouveau développement maritime breton, en rapport avec les grands enjeux environnementaux, économiques, sociaux du XXIème siècle, voici une priorité pour la Bretagne.

Ainsi un tel projet devra prendre en compte toutes les dimensions du maritime. Donc la gestion durable des ressources halieutiques et l’aquaculture. Également les énergies marines renouvelables et la construction et la réparation navale. Puis la valorisation de nos nombreux ports, le transport maritime et le nautisme. Puis la recherche, l’éducation maritime de la jeunesse, la culture, la formation professionnelle, …
Enfin ce projet pourrait inclure la création à la pointe de Bretagne d’un hub maritime qui lui donnerait une nouvelle respiration. Et lui rendrait son rôle de lien entre les économies européennes.

Un tel projet ne viendra pas de Paris, qui est en, grande partie responsable du déclin maritime breton.

Il doit être construit par les Bretons eux-mêmes. Donc avec les entrepreneurs, la société civile et les élus de terrain. Ainsi qu’avec toutes les forces demandeuses d’un véritable projet stratégique maritime pour la Bretagne.
Les crises que connaissent nos sociétés, la nécessité qui s’affirme fortement aujourd’hui de rendre aux territoires et à leurs habitants la maîtrise de leur destin et de leur permettre de mieux valoriser les ressources endogènes, la prise de conscience de la forte dépendance aux océans de la planète et de l’humanité, l’arrivée du Brexit et ses conséquences prévisibles sur le transport maritime européen, le besoin de créer des liaisons maritimes entre l’Irlande et l’Europe… sont autant d’opportunités pour bâtir et imposer un projet de développement maritime ambitieux pour la Bretagne.
François Arbellot